Histoire d’une genèse : « Le voleur et JIB »
L’entreprise JIB ne s’est pas occupée de fabriquer des sacs dès le commencement de son aventure.
Au départ, elle se résumait simplement à un select shop spécialisé dans les produits maritimes.
Par quoi est-elle donc passée et comment a-t-elle pu se convertir dans la confection de sacs ?
Pour le résumer brièvement d’entrée de jeu, disons que cette opportunité s’est présentée à nous sous, une forme particulièrement inattendue.
Le voleur et JIB
Cette histoire remonte à plus de trente-huit ans, quand l’entreprise a déménagé pour investir les locaux qui seront ceux de son actuel siège social. Tout le staff, conduit par M.JIB, emménagea donc dans un superbe immeuble construit à peine trois années auparavant, et à cette époque, tout le monde était aussi enthousiaste qu’affairé, par les préparatifs de l’ouverture d’une boutique.
Le pays connaissait alors un véritable engouement autour des produits liés à la mer. M. JIB, authentique yachtman à ses heures, qui avait déjà par le passé, travaillé au sein d’un équipage, sur un navire de croisière affrété par des célébrités, est un expert en la matière.
Les produits qu’il sélectionna et importa de l’étranger connurent ainsi immédiatement une très grande popularité. Il faut dire que les Japonais découvraient pour la première fois les marinières.
La boutique regorgeait de ces fameuses rayures, mais aussi d’autres vêtements ou objets aux motifs imitant les cordes, les ancres ou les marins. A l’instar d’objets en laitons qui brillent de mille feux, tous ces produits apparurent sans doute, dans les yeux de la jeunesse de l’époque, et comme une nouveauté, et comme la quintessence de la mode.
L’entreprise JIB sut sentir, saisir et devancer la tendance du moment, tant et si bien que sa première boutique, spécialisée dans les produits maritimes chics, élégants et raffinés, située dans le petit quartier de Shukugawa, de la ville de Nishinomiya (préfecture de Hyōgo) réussit son pari et devint rapidement un commerce réputé.
Bien décidée à ne pas rester cantonnée dans sa nouvelle zone de confort, l’entreprise JIB emménagea ensuite dans un immeuble splendide, et se prépara alors à ouvrir une nouvelle boutique afin de développer son activité commerciale.
Fier du succès de sa première tentative, M. JIB, pleinement convaincu d’être sur le chemin de la réussite, n’hésita pas à investir toute sa fortune dans la préparation, l’importation et le stockage de nouveaux produits. Tout se déroulait comme du papier à musique.
La veille de l’ouverture, tous les préparatifs étaient parfaitement terminés, et il ne restait donc plus qu’à attendre le lendemain pour ouvrir la boutique.
Mais le jour-même de l’ouverture, quand le rêve était à deux doigts de se réaliser, et que les employés vinrent ouvrir la porte du magasin, quelle ne fut pas leur surprise.
Tous les produits avaient disparu !
Catastrophe : la boutique, qui était sur le point d’ouvrir, n’avait alors plus rien à proposer aux clients et M. JIB, quant à lui, se retrouvait sans-le-sou.
Un voleur peu scrupuleux avait patienté dans l’ombre en observant les employés, s’atteler avec zèle et enthousiasme aux préparatifs, avant de saisir le moment opportun pour tout dérober. L’amertume était sur toutes les lèvres.
Pour l’entreprise JIB, la situation devenait aussi critique que désespérée. Le voleur n’avait laissé qu’une petite machine à coudre, servant à confectionner les voiles des maquettes de yacht, et du matériau à voile, en petite quantité.
Dans ces conditions, n’importe qui se serait immédiatement écroulé de désespoir, et l’histoire en aurait été finie. Ce ne fut pas le cas pour M. JIB.
Ce dernier était donc à l’origine, un yachtman. Il avait l’habitude de rapiécer les voiles de navire, et de confectionner de petits sacs avec les morceaux de voile qu’il récupérait, et il savait un peu par conséquent comment se débrouiller avec une machine à coudre.
Songeant qu’il devait « combler le vide laissé dans la boutique » d’un côté et, n’oubliant pas qu’il « manquait cruellement d’argent » de l’autre, il semble que cela soit très naturellement qu’il en vint à décider de « fabriquer des sacs [eux-mêmes] », avec son équipe.
Utiliser la machine que le voleur avait délibérément laissée derrière lui pour fabriquer soi-même des produits, voilà bien une idée qui dénotait d’une vitalité peu commune. Si la chose paraissait audacieuse et irréalisable, elle permettait toutefois, dans le même temps, de rebondir en cas de succès.
Les clients, qui viendraient dans la boutique en espérant y trouver des produits maritimes, ne trouveraient que quelques sacs.
Qui pouvait croire que le pire serait ainsi évité ?
Cependant, des clients, dont on ne sait s’ils avaient eu vent de la catastrophe survenue, achetèrent tour à tour les sacs JIB que le staff venait juste de confectionner. Il suffisait d’en poser un pour que celui-ci parte illico.
Les sacs se vendirent comme des petits pains, les uns après les autres. Et cette solution de secours, imaginée à brûle-pourpoint, qui devait juste servir à se dépatouiller pas à pas, sac après sac, de la situation désespérée dans laquelle l’entreprise était tombée, devint bientôt la clef de voûte du succès même de JIB, tandis que ces mêmes sacs devinrent le produit-phare de l’entreprise.
La plus grande crise que connut JIB devint ainsi la plus grande chance dont elle put bénéficier. Les sacs, confectionnés à la base, à partir d’une idée destinée simplement à renverser la donne, jouèrent le rôle de messagers aux coloris variés, et le bouche-à-bouche aidant, de nouveaux clients vinrent visiter la boutique.
Si la triste expérience que JIB avait subi, n’avait rien d’enviable ou d’heureux, nul doute que les voleurs, en nous dévalisant ce jour-là, ont contribué au fait JIB existe désormais aujourd’hui comme un fabricant de sacs.
Après plusieurs années, quand les sacs JIB commençaient à connaître un certain succès et que les pertes subies n’étaient plus qu’un mauvais souvenir, un inspecteur de police vint rendre visite à JIB.
On apprit alors que, le voleur en question avait été arrêté ce jour-là, dans le quartier d’Asakusa, à Tokyo. La police remontait la piste d’anciens forfaits, car le coupable s’était réellement fait une spécialité de frapper lâchement les nouveaux commerces, la veille précédant leur ouverture.
L’inspecteur s’était probablement imaginé qu’il allait s’exposer aux foudres et à la colère d’un commerçant lésé.
Il n’en fut rien.
M. JIB lui dit au contraire de « remercier cet homme, car c’est grâce à lui que mon entreprise est où elle en est aujourd’hui ».
S’il est toujours facile de dire après coup, que l’adversité peut être retournée à son profit, la chose est plus malaisée à réaliser en vérité, et tout le monde n’en est d’ailleurs pas capable.
Il faut se figurer que le vol avait été commis la veille même de l’ouverture. On peut facilement imaginer ainsi toute la frustration, l’irritation et le chagrin qui ont dû suivre la découverte du larcin. Après tout, M.JIB avait investi tout son argent, afin d’importer les produits qui furent impitoyablement dérobés.
J’ai le cœur serré en imaginant les efforts que M. JIB a dû alors déployer pour apaiser la colère qui devait être la sienne, mais s’il raconte aujourd’hui cette histoire comme si de rien n’était, avec même un léger sourire d’amusement sur les lèvres.
J’ai réellement la chair de poule, chaque fois que j’entends quelqu’un parler de cet épisode, si indéfectiblement lié à la genèse de notre entreprise.
Finalement, la bonne fortune n’est pas quelque chose qui sourit uniquement à une poignée d’élus : la vraie chance peut se créer et se provoquer.
Voilà ce que m’inspire cette histoire, pour laquelle j’éprouve toujours, énormément de fierté.